La Maison de Bordeaux
Il m'a fait penser à un traumatologue. On coupe et on raccourcit. R Koolhaas est peut être un traumatologue de l'architecture. Dans le monde médical, ce ne serait pas forcément un compliment. Dans le monde de l'architecture, on peut y voir un vrai talent : celui de la simplification, de la rationalisation, de l'essentiel face au superficiel, de l'essentiel face à la tendance et la mode, de l'essentiel face au désordre. Cette conférence lui permet de balayer les grands projets en cours de son agence , d'étudier les rapports entre politique et espaces urbains, entre système économique capitaliste et architecture. Les liens entre les deux sont évidents. Les moyens de production ont toujours influencé l'histoire du peuplement. Les hommes se sont regroupés autour des axes de communication, se rassemblent là où la richesse se crée, là où on produit. Le village, la ville sont ainsi nés. Elles ont grandi et aujourd'hui ce sont les immenses mégalopoles qu'il faut penser.
Il nous balaye un croissant de la soie partant de l'Europe en passant par Dubai et finissant par la Chine. Les anciens et nouveaux eldorados dans une continuité géographique. Je prendrai juste trois projets qu'il développe :
- CCTV à Pekin
- L'horizontal de Dubai
- L'anarchie de Lagos.
La tour de la CCTV est en train de sortir de terre. C'est un incroyable croisement de deux tours. L'objet promet d'être époustouflant dans une simplicité apparente. Une épure. Il coupe et raccourci. Il va à l'essentiel. Mais là où il est contestable, c'est sur la justification du lieu ; sur le rapport entre l'espace et les hommes qui l'occuperont. Il justifie l'ouverture de son bâtiment comme un contre point d'un système politique vérouillé ; le contre courant. Le système politique est fermé ; la télévision son bras armé. Alors il ouvre le lieu ; il introduit de "la démocratie". Pour ma part, pardonnez moi, j'y vois plus une justification a posteriori plus que le coeur du projet.
"L'horizontal" de Dubai est encore un objet à contre courant. Dubai est toujours plus haut. Il revient à l'horizontal. Dubai va au clinquant, il retourne à l'essentiel avec un bâtiment d'une sobriété presque absolue. Il ajoute un coup de génie avec son système pivotant pour suivre le mouvement du soleil et éviter les éblouissements. Mais là où il est contestable, là où je ne valide pas c'est lorsqu'il évoque le melting pot de la ville. Dubai, avec ses 20 % de "natives" et 80 % d'étrangers, intègrerait. La ville serait en quelque sorte l'image, le reflet du monde et de toutes ses communautés. Il se lance alors dans une justification des conditions de vie des travailleurs condescendante et contestable. Ces travailleurs ne feraient que reproduire leur habitat traditionnel et notamment les allées asiatiques (à l'image des hutongs). Voulues pas subies, les conditions de travail des asiatiques venus chercher du boulot dans ce paradis dans le désert ? Je n'y crois franchement pas.
L'anarchie de Lagos. R Koolhaas finit par comprendre la ville, expliquant l'anarchie apparente par les structures pré existantes à sa fabuleuse croissance démographique. Ensuite les hommes se sont installés entre ces infrastructures, là où ils ont pu. Il remet de l'ordre. Il va à l'essentiel. Mais lorsqu'il évoque la vie dans les décharges, lorsqu'il évoque le recyclage effectué pour permettre à des habitants de vivre, je ne vois plus de l'essentiel, j'y vois une insupportable misère, une effroyable adaptation.
Je ne suis pas architecte ; juste un passionné de politique qui sait l'importance des urbanistes et des architectes. Je reconnais à Koolhaas des monuments superbes, une épure que j'adore, un sens du contre point et du contre courant que j'admire. Il est profondément utile. Mais il y a une chose insupportablement absente dans son discours : c'est une capacité de révolte. Il prend l'état d'une ville comme une donnée mais il oublie son devoir de révolte. Certaines choses, certaines situations sont inaceptables et méritent utilement d'être rappelées. On peut construire en Chine mais on ne se résigne jamais à un peuple baillonné quand on a une tribune mondiale pour s'en émouvoir. On peut construire à Dubai mais on oublie pas ceux qui pour un salaire de misère donneront vie à vos dessins. On peut construire et penser Lagos mais avant on n'oublie pas de crier contre un système mondial et local capable de faire vivre des gens dans des décharges.
Pour écouter la conférence : http://www.centrepompidou.fr/histoiredestrente/98.htm